Le courrier de la sommelière
Le bon, la brute et le truand
Collaboration spéciale
Cultiver la vigne ici n’est pas facile. Les défis majeurs sont d’ordre climatique : nos hivers sont très froids et la saison végétative est courte, avec de sérieux risques de gel au printemps et à l’automne.
La vigne européenne,
, qui est à l’origine de tous les cépages bien connus, ne survit pas à des températures soutenues de -20°C. C’est donc la culture de cépages rustiques (issus de vignes indigènes à l’Amérique du Nord) et de cépages hybrides (issus de croisements entre différentes espèces de vignes), adaptés à notre climat, qui s’est imposée au Québec.Les débuts d’une viticulture qualitative remontent aux années 80. C’est donc une industrie très jeune. Il y avait tout à faire. La croissance a été difficile, parsemée d’embûches, mais tout de même rapide. L’amélioration de la qualité en moins de 40 ans, et particulièrement dans les 10 dernières années, est énorme, et on produit aujourd’hui des vins tout à fait dignes d’intérêt au Québec.
Les cépages les plus cultivés sont des cépages hybrides. Au début, ils étaient développés avant tout pour leur rusticité, sans nécessairement penser à la qualité du vin qu’ils donneraient. Mais la recherche a évolué, et de nombreux nouveaux hybrides cultivés aujourd’hui sont non seulement résistants au froid, mais produisent aussi de meilleurs vins. Le vignoble gagne également en maturité : une vigne plus âgée donne de meilleurs fruits. Et les vignerons ont acquis de l’expérience. Ils connaissent mieux les terroirs et les cépages qui leur conviennent, ainsi que la culture de la vigne, et comment l’adapter à nos conditions particulières. Ils ont une meilleure compréhension des vinifications, et sont épaulés par des consultants qui cumulent maintenant de nombreuses années d’expérience au sein du vignoble québécois. Bien sûr, le réchauffement climatique joue aussi un rôle : la saison de croissance s’est allongée de presque 3 semaines en 30 ans. On cultive même avec succès des cépages
, bien qu’à petite échelle.Et les résultats sont surprenants. Les meilleurs vins québécois, élaborés en harmonie avec le terroir, sans essayer de le dénaturer, sont des vins légers et fringants. Des blancs et des rosés, tout en fraîcheur, avec des taux d’alcool modérés. Les rouges, qui nécessitent une plus longue maturation, sont plus difficiles. Mais plusieurs sont très réussis, dans un style léger, peu tannique, tout en fruit et en fraîcheur.
Le climat se prête aussi très bien à l’élaboration de vins mousseux. Il est surprenant qu’il n’y en ait pas plus, mais leur production est onéreuse. Et, bien sûr, le climat devient un atout plutôt qu’un obstacle pour la production de vins de vendanges tardives et de vins de glace. À ce chapitre, le Québec produit certains des meilleurs vins doux au pays.
Et le plus
dans tout ça ? C’est que les meilleurs vins possèdent un caractère particulier, ils commencent à avoir une signature « terroir québécois ». Non, ils ne ressemblent pas à un vin français, italien ou californien. Ils ont leur propre style, et c’est ce qu’on aime : les vins issus de terroirs différents ne se ressemblent pas. Et tout le monde est en droit d’aimer ou non. Mais on ne peut qu’applaudir tous ces artisans qui travaillent d’arrache-pied, avec passion et persévérance, pour élaborer un produit noble, qui possède son caractère propre en lien avec la terre et le climat dont il est issu.Et finalement, un gros bravo à ceux qui ont su moderniser leur image. Exit les dessins de la tante ou du neveu, on a maintenant droit à des étiquettes léchées qui reflètent une industrie jeune et moderne. On dit que l’habit ne fait pas le moine, mais il y a quand même des limites…
BONUS : la majorité des vins québécois, en raison de leur grande acidité, sont des vins qui se conservent extrêmement bien une fois ouverts. La plupart des vins se goûtent très bien sur trois ou quatre jours, voire plus.